ASSOCIATIONS CITOYENNES DANS LE MOUVEMENT SOCIAL : REPRENDRE L'OFFENSIVE



Par Jean-Baptiste Jobard, Collectif des Associations Citoyennes (CAC)
Difficile d’interroger les forces et les limites d’un certain nombre de mouvements citoyens et donc de jauger, plus particulièrement, des espoirs raisonnables que l’on peut placer en l’action associative comme contributrice de la transition écologique et solidaire, sans situer le moment vécu (a fortiori quand il est vécu comme « moment-charnière ») dans un processus historique et sur un temps long. Le format du présent article n’autorise qu’une « histoire au lance-pierre » mais cette analyse lapidaire n’a ici vocation qu’à mieux éclairer les scénarios d’évolution du monde associatif que nous tenterons d’esquisser dans une seconde partie.
La question centrale étant celle des apports associatifs au mouvement social dans le cadre de notre société néo-libérale, il convient au préalable de poser deux éléments de définition, tout d’abord en se référant à l’approche bourdieusienne décrivant le néo-libéralisme comme une utopie, en cours de réalisation, d’une exploitation sans limite (dans une planète finie) via un programme politique de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur.73 Un projet simple, résumé en deux phrases par Margaret Tatcher : « there is no such thing as society », autrement dit, n’existent et ne doivent exister que des individus atomisés, exit donc les collectifs. Et le fameux T.I.N.A. « there is no alternative ».
Quelle est la place pour les contestations collectives de cet ordre établi par ce projet politique néo-libéral ? Quelle est la place des contre-feux émanant donc justement de ces structures organisationnelles dont parle Bourdieu, en citant notamment la Nation (dont le sociologue notait déjà dans des textes de la fin du siècle dernier que « les marges de manœuvre ne cessaient de décroître74 »), les collectifs de défense des droits des travailleur·ses, syndicats, associations, coopératives et même la famille ? Nous nous intéressons donc ici plus spécifiquement aux associations dans le mouvement social, notion précisée ainsi par Erik Neveu « les mouvements sociaux traduisent des tensions, des malaises, des problèmes ou des interrogations et sont souvent l’expression de ceux qui trouvent malaisément à se faire entendre par les urnes, les médias, les autorités polico-administratives75 ».
À l’aube d’une sixième phase historique de l’action associative ?

Pour comprendre, revenons en arrière, non pas en 1901 mais 110 ans auparavant car, en France, l’histoire des libertés associatives commence d’une bien singulière façon, par une interdiction pure et simple avec la loi Le Chapelier prohibant en 1791 la constitution d’associations de personnes car « le principe de souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » selon les termes même de la Déclaration des Droits de l’Homme. Inspirés par le libéralisme des lumières, les révolutionnaires de l’époque considèrent que dans la République, une et indivisible, les citoyen·nes ne doivent pas être séparé·es de la Nation par des corps intermédiaires.
Or, dans une simple logique de survie via l’entraide, les débuts de l’ère industrielle au XIXe siècle voient la création d’un très grand nombre de regroupements informels et d’associations76, illégales (jusqu’en 1901) mais extrêmement actives dans l’invention concrète d’une forme particulière de solidarité. Celle-ci a été théorisée par Pierre Leroux comme une « solidarité démocratique » fondée sur une égalité citoyenne en opposition avec la forme de « solidarité philanthropique » (qui revient en force de nos jours), fondée sur un principe de charité où n’existe nulle volonté de remettre en cause l’ordre (inégalitaire) établi des choses, la main qui donne étant toujours au-dessus de la main qui reçoit.
Ainsi se forme jusqu’en 1848 le lien consubstantiel entre la solidarité et la démocratie qui permet aujourd’hui de comprendre pourquoi, en dévitalisant notre système de protection sociale (et notamment les associations dans la part qu’elles y prennent), on met en danger notre système démocratique même. Cette première partie du XIXe siècle, décrit par Eric Hobsbawm comme « l’ère des révolutions », est donc celle de l’associationnisme : le creuset commun du monde associatif citoyen et militant d’aujourd’hui, mais aussi du syndicalisme (loi de 1884), du mouvement mutualiste comme du mouvement coopérativiste. En effet, ce à quoi met fin la sanglante répression du « printemps des peuples » de 1848, c’est une manière de concevoir comme indissociable l’action politique institutionnelle pour porter des revendications et des propositions, l’enjeu de citoyenneté économique (notamment à travers l’appropriation des moyens de production voire déjà de consommation et de distribution) et la justice sociale dans son expression quotidienne et prosaïque.
Après cet associationnisme pionnier, solidaire et populaire, la deuxième grande phase historique (qui nous conduit jusqu’à la fin du XXe siècle) va adosser le fait associatif à la lente et progressive construction de l’État social de droit.
Deux ruptures fondamentales sont alors à noter. D’abord, la fin de l’indissociabilité des propositions sociales, politiques et économiques portées par les citoyen·nes via leurs associations (souvenons-nous par exemple des revendications, notamment économiques, portées par le soulèvement des canuts dans les années 1830). En effet, l’imposition de la logique sociale-démocrate productiviste repose sur une distinction très forte entre l’économie confiée aux capitalistes et au secteur privé lucratif, d’une part, et, d’autre part, le social confié à l’État. Dans cette optique, il s’agit de construire le progrès social par la croissance, le rôle de la puissance publique consistant à faciliter les jeux du marché tout en prélevant et redistribuant une partie des richesses créées, pour réduire les inégalités et assurer une certaine justice sociale.
Dans cette perspective construite autour de la binarité État-Marché, les associations vont surtout devenir des outils complétant, prolongeant l’État social et se placer, de fait, sous sa tutelle. Le principe profondément égalitaire de la première phase de l’associationnisme va s’évanouir. En effet, l’État social ne conçoit pas tant son action à partir de liens horizontaux et de réciprocités entre des citoyen·nes égales·aux, que dans un schéma administratif, descendant, vertical de redistribution, laissant peu de place aux usager·es et aux initiatives citoyennes de solidarité réciproques.
Après la guerre avec l’État-providence, ce phénomène s’accentue et le développement du secteur (le salariat associatif notamment) se fait au prix d’une forte dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. Ainsi donc apparaît un deuxième moment fondateur, marqué par un paradoxe. Durant ces années de croissance et de reconstruction, l’augmentation des moyens d’action des associations va donc aller de pair avec une certaine diminution de l’autonomie du secteur associatif, en comparaison avec la phase historique inaugurale du début du XIXe siècle.
À partir des années 1970-1980, avec l’essoufflement du keynésianisme puis l’effondrement des systèmes politiques se réclamant du marxisme, l’avènement du néo-libéralisme s’annonce d’abord dans la sphère intellectuelle (avec des penseurs comme Hayek, Friedman et de la société du Mont Pélerin) puis dans le champ politique (élection de Reagan, de Thatcher ou encore avec le consensus de Washington77). Les tenants de ce néo-libéralisme vont aller très loin (notamment au Chili et dans d’autres pays d’Amérique du Sud ou d’Afrique) dans la confirmation d’une thèse qui sera exprimée plus tard par Jürgen Habermas, celle d’une contradiction, d’une tension irréductible entre développement du capitalisme (qui engendre des inégalités) et promotion de la démocratie (qui postule une égalité), cette aporie étant donc de nature même à contredire la logique sociale-démocrate exposée plus haut.
Le projet néo-libéral consiste ainsi à réduire le périmètre d’intervention de l’État, le champ d’intervention de l’action publique et, fondamentalement, à limiter la démocratie. Les associations y sont vues comme un obstacle à cette rationalisation et il faut les cantonner à un tiers-secteur subalterne les contraignant, via l’imposition d’un cadre concurrentiel, à n’être plus que des prestataires d’une sorte de services publics « low cost » (« des associations pauvres qui seraient simplement de pauvres prestataires… pour les pauvres ! 78»). L’inverse donc de ce qu’Harbermas décrit avec sa notion d’espace public autonome (c’est-à-dire des organisations issues d’initiatives non-lucratives relevant du droit privé, certes, mais visant expressément la recherche de l’intérêt général et donc participant à un travail politique).
Comme les plaques tectoniques, les grandes phases historiques peuvent se juxtaposer quand elles se télescopent et, à cette époque-là, l’héritage des périodes précédentes est encore suffisamment fort pour qu’un large consensus subsiste sur l’idée que certains secteurs échappent encore légitimement à la loi du profit et la maximisation des gains : le social, la culture, l’éducation, l’humanitaire et la solidarité internationale… Cela vole en éclat lors de la phase suivante du « néo-libéralisme deuxième génération ». Celui-ci explique que les marchés, en plus de leur « main invisible », seraient dotés d’un « cœur invisible79 » et qu’ainsi « le monde est à l’aube d’une révolution80 dans la façon de résoudre les problèmes les plus épineux de la société. » Désormais « devenir prospère et faire le bien ne sont plus considérés comme incompatibles81 ». Il s’agit d’un néo-philanthropisme révolutionnaire (au sens étymologique) régi par les forces de la finance avec des investissements « tirant profit des forces de l’entrepreneuriat, de l’innovation et des capitaux ainsi que des pouvoirs des marchés pour faire le bien »… La logique moderne du « win-win » ? Pas si sûr pour les associations qui sont poussées vers le marché en étant mises en concurrence, non seulement entre elles (à partir des années 2000-2010, nous assistons non seulement à une baisse des financements publics mais surtout à une mutation de ceux-ci, fondés dorénavant sur des appels à projets et des commandes émanant des pouvoirs publics et non plus sur la subvention c’est-à-dire sur le soutien à des initiatives citoyennes. Ainsi les associations sont tendanciellement reléguées au rang de simples exécutantes de politiques publiques… décidées sans elles), mais aussi en concurrence avec les entreprises. Le piège se referme encore davantage avec le nouveau cadre fiscal de 1999, induisant une sorte de renversement de la charge de la preuve : en contradiction avec les termes de la loi de 1901, les associations ne sont finalement plus considérées a priori comme non-lucratives, et elles doivent démontrer qu’elles ne le sont pas, à défaut de quoi elles doivent s’assujettir aux impôts commerciaux.
Après la crise de 2008, le contexte se durcit encore. « L’importance historique de l’approche subventionnelle publique entrée dans une ère hypercontrainte implique une forte mutation », explique-t-on pour justifier l’introduction en France de nouveaux dispositifs de financement de l’action associative, les investissements à impact social82, issus du monde anglo-saxon. Malgré leurs coûts, l’absence de preuve d’efficacité, leur complexité et leur opacité, leur déploiement se poursuit avec un argumentaire bien rodé : « parce que nous sommes en transition socio-économique et qu’il faudra bien inventer de nouvelles approches sociales : comment passer de la dépense sociale à l’investissement social en conservant des objectifs d’intérêt général 83».
Le développement du social business à l’heure de la start-up nation rejoint donc une vieille idée, celle d’un programme où l’efficacité économique des entrepreneurs sociaux doit servir l’intérêt général. Dans cette perspective, les associations sont tendanciellement reléguées au rang d’actrices anachroniques plus ou moins ringardes d’une histoire au cours de laquelle, finalement, elles n’auraient pas su trouver de solutions aux problèmes sociaux (alors même qu’on dépensait pour elles « un pognon de dingue », selon l’expression d’Emmanuel Macron en juin 2018). C’est la perspective clairement formulée par Jean-Marc Borello, auteur du Capitalisme d’intérêt général : « qu’on le regrette ou pas, dans 10 ou 15 ans, il y aura 10 fois moins d’associations, mais des associations 10 fois plus importantes ! 84»
Cette prédiction datant de 2013 se réalise en partie. Les études montrent en effet une bipolarisation du monde associatif (disparition ou réduction à la débrouillardise des (très) petites et moyennes associations, notamment à la suite du plan de licenciement massif qu’a constitué la suppression des emplois aidés en 2017 ; en revanche, augmentation des « grosses » associations de plus en plus prises dans la logique du marché).
En réalité, devant sa double insoutenabilité (sociale et environnementale), le système du « capitalisme d’intérêt général » ne tient pas : l’insupportable accroissement des inégalités sociales, d’une part, et la catastrophe écologique, d’autre part, rendent en effet complètement illusoire une adhésion massive au projet politique présenté. Sont alors réunies les conditions d’émergence de la dernière phase historique, celle de la tentation autoritaire.
En Europe, les inquiétudes provoquées par ce rétrécissement de l’espace démocratique sont telles qu’elles amènent même un consortium de fondations privées à financer un programme pour permettre à des acteurs de la société civile de réagir. C’est ainsi qu’à l’instar de l’Italie, la Pologne, la Grande-Bretagne ou la Hongrie se forme en France une structure appelée L.A. Coalition Libertés Associatives, laquelle documente notamment l’ensemble des entraves, attaques et répressions que subissent des acteur·rices engagé·es dans différents secteurs (social, santé, culture, accès au droit, jeunesse, sport, environnement, etc.).
Ces fragilisation et précarisation croissantes des associations, leur instrumentalisation, voire leur répression ou encore leur marchandisation, ne sauraient toutefois nous faire céder au fatalisme et à l’accablement car les conditions d’une bifurcation peuvent être identifiées. Comment donc ne pas rater les bons aiguillages ?
Vers un associationnisme du XXIe siècle ?

La première condition renvoie tout simplement à la partie précédente : écrire son histoire. Cela signifie retrouver ce qui, dans l’ADN des associations forgé il y a deux siècles, peut remobiliser le monde associatif dans la conception d’une doctrine alliant actualisation de la protection sociale et projet d’émancipation individuelle et collective. L’histoire étant écrite par les vainqueurs, vae victis, ce travail n’est pas si facile, notamment en raison de la double occultation (libérale et marxiste85) dont elle a fait l’objet. Cependant, ce travail est primordial car, en nous situant dans un héritage de luttes sociales, il nous redonne une fierté, ce qui constitue une arme de poids dans les combats politiques. Si l’histoire a fait de nous ce que nous sommes, nous pouvons faire quelque chose de ce que l’histoire a fait de nous… Écrire son histoire c’est aussi faire l’effort de définir, via un travail de scénarisation, un avenir souhaitable et cette tâche invite au collectif86.
Deuxième condition : commencer simple et par soi-même. Si nous voulons être le changement que nous souhaitons voir advenir pour le monde et si « la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans les semences » , selon les mots de Gandhi, ayons cette exigence de cohérence entre nos valeurs, principes d’actions et actions. La traduction de cette exigence dans le fonctionnement des associations en interne est un chantier immense mais il a un grand avantage : il est directement accessible et il ne tient qu’à nous de l’investir. Comment décide-t-on dans une association ? Comment permet-on à chacun·e d’avoir sa place et de prendre part ? Employeur·ses bénévoles, employé·es professionnel·les, qu’y invente-t-on comme nouvelles modalités de travail collégial ? Bref, jusqu’où pouvons-nous aller dans les laboratoires de démocratie que sont les associations ?
Au début du siècle dernier, Jaurès aspirait à mettre « la République dans l’atelier ». Dans ces ateliers modernes que sont les associations, comment s’autogère la « chose commune » ? Que ce soit par des pratiques et usages déjà en cours et repérables (notamment issus des activistes du logiciel libre) ou par des notions intéressantes (on pense par exemple à la manière dont la stimulante réflexion sur les droits culturels avec la déclaration de Fribourg peut rencontrer les développements conceptuels autour des communs dans la lignée des analyses d’Olstrom), les associations peuvent encore contribuer à l’actualisation de la conception même de la citoyenneté.
Troisième défi, accroître la capacité des associations à concevoir leur apport dans le cadre plus large de l’action publique, incluant les services publics ; autrement dit, mieux défendre le monde associatif en défendant également les services publics, notamment par la poursuite d’un travail volontariste pour définir les conditions de réussite des démarches de co-construction87.
Quatrième enjeu, lié au précédent, inventer une nouvelle structure du financement du monde associatif. Nous l’avons vu, la phase actuelle de répression des libertés associatives a été permise par un substrat installé sur plusieurs années, via la baisse et la mutation des financements publics. Les logiques nobiliaires, du fait du prince et du clientélisme, fondées sur des relations bilatérales asymétriques entre financeur·ses et financé·es, atteignent leurs limites extrêmes. À la faveur de la crise sanitaire et des utopies « des mondes d’après », d’autres modalités de soutien au fait associatif cherchent à émerger (modalités d’attribution via des commissions mixtes paritaires, fonds d’interpellations et d’initiatives citoyennes gérées autrement que de manière classique, etc). Bref, un autre financement du monde associatif est possible, y compris en réinterrogeant le cadre fiscal.
La cinquième condition consisterait à maintenir l’essence même du fait associatif : la non-lucrativité. Autrement dit, contre l’extension continue du domaine du marché, il s’agit toujours et encore de faire exister une économie non-marchande. La question reste de savoir comment donner les moyens de leurs ambitions à ces initiatives non-lucratives qui ne sont pas pilotées par la recherche de la performance rentable et productive. Une partie de la réponse repose sur la capacité à les relier, c’est fondamentalement l’objet de projets comme le Transiscope (cartographie mutualisée facilitant la mise en réseau des dizaines de milliers d’alternatives recensées en permanence). Une autre manière de se questionner serait d’envisager comment, dans deux, cinq ou dix ans, nous pourrions faciliter et financer une multiplication encore plus importante de ces solutions trouvées localement aux crises systémiques que nous traversons et comment cela permettrait de « faire système ».
Si David ne choisit pas bien sa fronde, il n’a aucune chance de battre Goliath… La sixième condition d’un renouveau associatif consiste donc à bien choisir ses armes, fussent-elles modestes. Et, à défaut de fronde, parfois le bon grain de sable suffit à enrayer la machine. Se joue alors l’ingéniosité consistant à relier analyses globales et solutions locales et/ou pragmatiques. À titre d’exemple, quand l’association Framasoft invente des alternatives à Google, elle met simultanément en lumière la façon dont elle participe à un combat politique contre l’emprise des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
Dans cette lutte politique et idéologique, une bataille essentielle se joue sur le terrain sémantique et la septième condition consiste à participer pleinement à cette guerre des mots, comme nous y enjoignent depuis longtemps les coopératives d’éducation populaire ou des projets collectifs, comme celui orchestré par Transrural autour de la publication de l’ouvrage Le pouvoir des mots.
La huitième condition consisterait à trouver collectivement bien d’autres conditions : désigner ses adversaires, trouver ses alliés, être autonome dans sa capacité à évaluer (donner de la valeur c’est-à-dire étymologiquement des forces de vie) à son action, articuler les échelles d’intervention (par exemple aider localement les personnes étrangères mais, dans le même temps, réfléchir au sein d’un collectif comme les États généraux des migrations, au cadre légal national ou même international avec les accords de Dublin) ou encore trouver mille autres moyens de faire résonner les résistances et alternatives à l’accélération du temps capitaliste88 et contrer ainsi la lame de fond des passions tristes ressentimistes89… Et, puisqu’il est sûrement trop tard pour être pessimiste90, comme pourrait dire Daniel Tanuro, soulignons enfin que l’associationnisme de demain dépendra de notre capacité à investir ces conditions de réussite (dont l’identification est à poursuivre et parfaire) pour permettre un renouveau, de nature à vaincre le péril constitué par le contexte actuel et ce qu’il peut induire d’auto-censure et surtout de résignation.


Notes de bas de page

73Pierre Bourdieu, Contre-feux (propos pour servir à la résistance contre l'invasion néo-libérale), Liber-Raisons d'Agir, 1998.

74Ibid

75Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte.

76Sur cette histoire trop méconnue voir notamment Michèle Riot-Sarcey Le procès de la liberté (une histoire souterraine du XIXe siècle), La Découverte. Voir également la série documentaire « Le temps des ouvriers » (notamment les deux premiers épisodes « le temps de l’usine » et « le temps des barricades ») de Stan Neumann.

77Le consensus de Washington, dans les années 1980, mettait fin au paradigme précédent, établi par la Déclaration de Philadelphie de 1944, qui affirmait qu’une paix durable ne pouvait être établie que sur la base d’une justice sociale et que, dans cette optique, les progrès économiques ne valent que s’ils servent cet objectif.

78Extrait de l’interview de Julien Chandelier « Un monde associatif en alerte » (ouvrage en préparation)

79Discours de Sir Ronald Cohen reproduit dans le rapport Sibille « Comment et pourquoi favoriser des investissements à impact social (innover financièrement pour innover socialement) », 2014.

80Souvenons-nous d’ailleurs ici du titre, tout sauf anodin, du livre programmatique du candidat Macron.

81Ibid

82Voir à ce sujet les nombreuses analyses du CAC, par exemple notre tribune parue dans Le Monde « Quand le social finance les banques et les multinationales » sur les SIB-CIS.

83Interview accordée à Youphil : « Jean-Marc Borello : trois idées pour sortir de la crise », octobre 2011.

84Interview de JM Borello dans Politis, Président du groupe SOS, membre du bureau exécutif de La République En Marche. JM Borello s’est également vu affublé du surnom de « Bernard Tapie du social ».

85Voir à ce sujet le chapitre 1 des travaux de JL Laville et M. Riot-Sarcey dans l’ouvrage Réinventer l’association (contre la société du mépris), Édition Desclée de Brouwer.

86Voir à ce sujet l’ouvrage dirigé par JL Laville, P. Coler, G. Rouby et MC Henry Quel monde associatif demain (des limites actuelles de l’action associative aux moyens de les dépasser), à paraître (mai 2021) en particulier le chapitre de C. Chognot « La prospective pour concevoir l’alternative ».

87Voir à ce sujet les travaux de recherche-action menée notamment par le CAC avec d’autres organisations et universitaire sur la co-constrution, notamment le rapport Fraisse « Co-construction de l’action publique : définition, discours, enjeux et pratiques ».

88Harmut Rosa, Résonance (une sociologie de la relation au monde), Édition La Découverte.

89Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer (guérir du ressentiment), Édition Gallimard.

90Daniel Tanuro Trop tard pour être pessimiste (écosocialisme ou effondrement), Édition Textuel.